1.
Un volcan insidieux
Le Vésuve est aujourd’hui un volcan considéré comme très
dangereux car il passe de phases d’activité intense à des phases
d’endormissement trompeur, ce qui était le cas lors du 1er siècle de
notre ère. Une éruption énorme, cotée VEI6 ( plus importante que celle de 79, cotée VEI 5) eut lieu en 1660 environ avant J.-C. et les archéologues italiens ont découvert en mai 2001, près de Nola, des restes de village : habitations, bétail, et hommes. Le
Vésuve a cessé toute activité éruptive violente depuis 1944, et les
vulcanologues redoutent une éruption de type explosif très brutale qui pourrait
survenir prochainement et faire de graves dégâts dans la région de Naples, très
urbanisée.
Au premier
siècle de notre ère, moment où Strabon,
Méla, Vitruve et Pline décrivent le Vésuve, celui-ci est en sommeil depuis longtemps
et il est même considéré comme éteint par les Anciens, qui le citent comme une
montagne parmi d’autres. Pourtant des traces attestent qu'il y a eu une activité éruptive en 217 av. J.-C.
Le texte de Pomponius Méla est un exemple
probant de l'ignorance de la nature de cette "montagne" : le Vésuve y est seulement cité nominativement, sans spécificité
volcanique (Vesuui montis),
au milieu d’une énumération des villes campaniennes dans laquelle
Herculanum et Pompéi apparaissent, alors que les volcans qu’il connaît sont
cités comme tels (Etna, îles Eoliennes). Quand le poète Silius Italicus évoque
l’éruption de 79, il précise que ses feux étaient entretenus depuis des
siècles : Ainsi, lorsque le Vésuve, finissant par céder à
une pression sourde, a vomi jusqu’aux asters des feux couvés depuis des
siècles, et que le fléau de Vulcain s’est répandu sur la mer et les
terres.
La seule trace d’une ancienne activité volcanique de cette montagne
est la présence de cendre et de fissures noires au sommet, que note
Strabon : Le sol y a l’aspect de la cendre et présente des
fissures qui s’ouvrent dans une roche couleur de suie dont on dirait qu’elle a
été rongée par le feu.
Vitruve confirme qu’on lui a rapporté le souvenir d’une éruption du
Vésuve fort lointaine : On rapporte également qu’en un temps ancien les
feux brûlants prient plus d’intensité sous le Vésuve et n’y furent plus
contenus, et qu’en conséquence les flammes furent rejetées sur les terres
d’alentour.
Au premier siècle, le volcan est calme depuis assez longtemps pour que les Romains aient cultivé de nombreuses vignes, qui font du vin du Vésuve un vin réputé. On décrit le Vésuve comme une montagne couverte de terres cultivées, sauf au sommet, trop rocheux. Une fresque pompéienne (Maison du Centenaire) qui se trouve aujourd'hui au musée de Naples atteste de cette perception, avec un Bacchus couvert de raisin à côté de la montagne couverte de vignes :
L’éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C. est donc perçue comme
un phénomène extrêmement brutal et catastrophique, comme l’écrit de façon
saisissante Stace, qui parle d’ « arrachement » de la montagne
au sol, puis de sa chute catastrophique sur les villes autour : Le jour où le dieu arracha la
montagne au sol pour la soulever jusqu’aux étoiles et la laisser retomber au
loin sur des villes infortunées.
Mais elle a surtout été décrite dans les deux très célèbres Lettres
de Pline le Jeune, qui veut avant tout raconter à Tacite, sur sa demande, la
mort de son oncle, Pline l’Ancien, lors de cet « accident mémorable ».
Cette
description de la catastrophe de 79 ap. J.-C est devenue un modèle pour ce type d’éruption
(celle du Mont St Hélène, notamment) et elle témoigne du souci
que pouvaient avoir un auteur de faire une description précise, évocatrice,
explicatrice, voire scientifique, en complétant ses propres souvenirs avec des
témoignages de personnes qu’il a interrogées le plus tôt possible après
l’éruption, à juste titre, pour avoir un témoignage le plus fidèle possible : Je vous ai donné la suite complète des
événements auxquels j’ai assisté et de ce qui m’a été raconté immédiatement, au
moment où les récits sont les plus exacts.
L’éruption elle-même se déroule en plusieurs phases.
Elles sont perceptibles dans le texte de Pline le Jeune grâce aux nombreux
adverbes de temps : tum…nec multo post…dein…iam dies…). L’une est présentée depuis Stabies (où se rend Pline l’Ancien) : Lettre
16 ; l’autre, depuis Misène (où reste Pline le Jeune), Lettre 20.
En comparant les descriptions
littéraires et des témoignages archéologiques, on a pu reconstituer les
phases éruptives et constater la valeur de la description de Pline le Jeune qui
montre bien dans chacune de ses Lettres que la catastrophe vésuvienne a
été une surprise pour les Romains, en particulier dans une parenthèse qui
montre que le Vésuve est considéré comme une montagne parmi d’autres, et non
comme la grande menace volcanique de la région : On ne pouvait pas savoir de loin de
quelle montagne <la nuée> sortait, on sut ensuite que c’était du
Vésuve. (VI, 16, 5)
Les premiers signes de l’éruption sont des secousses
sismiques, mais Pline ne fait qu’à posteriori le rapport avec l’éruption
(puisqu’il les cite en introduction de son deuxième récit), car il ajoute que
ceux-ci étaient fréquents en Campanie, ce que confirme un texte de Sénèque
(NQ., XII, 2)
où il évoque les motus in Campania. On peut aussi bien sûr évoquer la célèbre plaque de
marbre de Pompéi où est représenté le tremblement de terre du 5 février 62.
Relief
de marbre, Pompéi : représentation du temblement
de terre de 62 apr. J.-C.
La deuxième phase, éruptive à proprement dit, appelée
« plinienne » par les vulcanologues modernes, commence le matin du 24
août 79, « aux environs de la 7e heure » (Nonum
kal.Septembres hora fere septima, VI, 16, 4)
et consiste en la formation d’un nuage noir (atra nubes,VI, 20, 9,
"porteur de cendre "),
énorme, qui monte. Pline évoque très
bien ce nuage, en le comparant à un pin parasol, avec un tronc d’où partent des
branches qui s’étalent : (VI, 16, 5-6) : Une nuée se formait (…), ayant
l’aspect et la forme d’un arbre et faisant penser surtout à un pin. Car après
s’être dressé à la manière d’un tronc fort allongé, elle déployait ses
rameaux. Il propose même une
explication de sa forme : la fumée a été soulevée et maintenue en
suspension par une colonne d’air qui est sortie la première du volcan ( VI, 16, 6) : Je suppose qu’elle avait été d’abord
portée en haut par la colonne d’air au moment où elle avait pris naissance,
puis cette colonne étant retombée, abandonnée à elle-même ou cédant à son
propre poids, elle s’évanouissait en s’élargissant.
Représentation
schématique d'une éruption
"plinienne" et reconstitution au-dessus de Pompéi (image BBC)
On sait en effet que dans ce type explosif d'éruption,
plusieurs kilomètres cubes de magma sont expulsés à très grande vitesse, un
mélange de cendres, gaz et particules solides forme une colonne au-dessus du
cratère qui peut atteindre plusieurs dizaines kilomètres de haut (Des articles suggèrent 27 km de haut pour l’éruption de 79), qui s’élargit ensuite,
puis retombe à très grande vitesse, environ 150 km/h. On peut se figurer
visuellement à quoi ressemblait ce nuage, mais sans doute à une moindre
échelle, d’après une photo de la dernière éruption du Vésuve, en 1943 et une
peinture de l'éruption de 1779 et 1822 :
peinture de 1822
Le Vésuve lors de sa dernière éruption (1943)
La phase suivante est donc une pluie de ponces et de
cendres, très abondante (2, 40 m à 7 m selon les sites) sur la région, comme le
raconte fort bien Pline pour les deux sites ( VI, 16, 11) : De la cendre, à mesure qu’ils
approchaient plus chaude et plus épaisse, déjà aussi de la pierre ponce et des
cailloux noircis...La nuée redescend et s’élargit, puis
se reforme : (VI, 20, 11 et 13) : Peu de temps après, la
nuée descendait sur la terre, couvrait la mer (…) Une traînée noire et épaisse
s’avançait sur nous par derrière, semblable à un torrent qui aurait coulé sur
le sol à notre suite.
Schéma
des pluies de cendres
Les aires de projection magmatiques du Vésuve
en 79
Les courbes rouges correspondent aux ponces claires, les courbes bleues
aux ponces foncées. Les dépôts se sont faits dans
le sens du vent dominant, lors de l'éruption.
Pompéi, par exemple, commença à être recouverte par une
épaisse couche de cendres et de ponces à raison de 12 à 15 cm par heure. Dans
ce type d’éruption, le magma sort de façon explosive pendant des heures,
parfois la colonne s’effondre
sous une variation de flux, et des
nuées ardentes retombent, avec des gaz toxiques, qui ont pu causer la mort des
Pompéiens (VI, 16, 13). Il dit que les chutes ont cru en intensité : il parle dans
un premier temps d’une cendre « encore peu serrée », puis, dans un
deuxième temps, d’une cendre « lourde » : (VI, 20, 16) : de nouveau la cendre, en
abondance et lourde. Au niveau
stratigraphique, on a constaté, conformément à la description de Pline le
Jeune, qu’il y a deux niveaux correspondant à deux sortes de ponces :
ponces blanches (sur plus de 1 m), dessous, puis ponces grises, avec une courte
séquence intermédiaire où il y avait surtout de la cendre.
Coupe stratigraphique de l'éruption de 79, sur
le site de Pompéi : les deux couches de cendres
Ici, de bas en haut, on distingue un premier niveau avec des
ponces blanches, puis des ponces (d’une couleur plus sombre).
D’après le texte de Pline le Jeune et les analyses
stratigraphiques, les spécialistes estiment que les chutes de cendres et de lapilli
(petites sphères formées par l’agrégation de dépôts de cendres humides) ont
duré environ 6 à 7 heures. Cela implique une grande violence éruptive, car à égalité de masse,
le taux moyen de produits émis est trois fois supérieur aux estimations
classiques (19 heures). On sait que Pline
l’Ancien est venu tenter d’accoster à Herculanum en fin d’après-midi, au
coucher du soleil, mais qu’il n’a pas pu car le fond marin était altéré,
vraisemblablement par des coulées de boues qui avaient atteint la mer : (VI, 16, 11) : Déjà il y avait un bas-fond et
des rochers écroulés interdisaient le rivage.
Silius Italicus parle des conséquences de cette pluie de
cendres qui a rendu les arbres tout blancs (XVII, 592-596) et Pline le Jeune la
compare à une couche de neige : (VI, 20, 18) : Aux regards encore mal
assurés, tous les objets s’offraient sous un nouvel aspect, couverts d’une
cendre épaisse comme d’une couche de neige .
Ceci fut certainement la cause de certaines morts directes dans la ville, mais
cela a dû surtout causer, après quelques heures, l'effondrement des toits. Procope a décrit sur un ton didactique le
déroulement d’une éruption de type vésuvien en se fondant sur celle de 79 et il
cite avec une grande justesse les conséquences mortelles et les destructions
matérielles totales de l’accumulation de la cendre : (De bell., VI, 4, 25) : Et si quelqu’un en voyage est
pris par ce maux (les cendres), il n’y a aucun moyen pour cet homme de
survivre, et si cela tombe sur des maisons, elles aussi tombent sous le poids
de la grande quantité de cendre. C’est exactement ce que l’archéologie a
révélé à Pompéi. Les gens sont morts étouffés ou écrasés sous les maisons
effondrées.
Stratigraphiquement, on décèle une phase de transition entre
la phase plinienne et la phase d’écoulements, pendant laquelle Pline l’Ancien
réussit à accoster à Stabies, puis se repose. A Pompéi et aux alentours, cette
phase de plus faible activité éruptive produit encore des cendres et des
ponces, mais surtout des tremblements de terre, ressentis très fortement par
Pline le Jeune qui est à Misène. Il y a des
émissions incandescentes et des feux sur le Vésuve, ainsi qu’une odeur de
soufre : (VI, 16, 17 et 18) : Beaucoup de feux et des
lumières de toutes sortes…les flammes et l’odeur de soufre qui les
annonçait.
Cette phase dure presque toute la nuit.
Pendant ce temps, le sommet du Mont Vésuve brillait
sur plusieurs points de larges flammes
et de grandes colonnes de feux, écrit Pline.
Enfin, la phase d’écoulements, dont Pline le Jeune ne parle
pas parce qu’elle n’a touché ni Stabies, ni Misène, a lieu à l’aube du 25 août.
Mêlés à de l’eau, la cendre, le magma et des matériaux arrachés à la montagne
descendent en avalanches successives du Vésuve.
Schémas
des flux pyroclastiques et de leur épaisseur selon
les zones géographiques
Les trois premiers
flux vont croissants en violence, puis trois autres,
moindres, les consolident. C’est ce qui
submerge la ville d’Herculanum sur plus de 20 mètres de hauteur (la ville figure
en plein dans la zone rouge, la plus touchée par
les flux).
flux
pyroclastique (sud du Vésuve)
tronc
d'arbre ployé par le flux pyroclastique, montrant
la direction du flux et la stratification des cendres
Coupe
stratigraphique des dépots de l'éruption de 79,
à la villa Regina, à Boscoreale, avec des cendres,
des ponces, des cendres et enfin le flux pyroclastique
On ne sait pas combien de gens moururent lors de l'éruption de 79, mais on estime à environ POmpéi 10 à 20000 habitants et Herculanum à 5000. On a retrouvé au moins 1150 corps qui 'avaient pas complètement disparu, à Pompéi, et 350 à Herculanum.
7. Après l'éruption de 79
Après l’éruption, Tacite parle de « changement du
paysage » par l’éruption du Vésuve, à l’échelle de l’ensemble du golfe de
Naples (Ann., IV, 67) : On découvrait le plus beau golfe du monde,
avant que le Mont Vésuve en s’embrasant eût changé l’aspect du pays.
On sait par Suétone (Titus, 9)que l’empereur Titus a tenté de « restaurer les villes
affligées par la catastrophe » en utilisant les fortunes des victimes sans
héritier.Mais les cités ne furent pas reconstruites.
Après 79, le Vésuve reste actif, mais toutes les éruptions postérieures furent inférieures en intensité à celle de 79. Dans la littérature antique, on signale des éruptions en 172, 203 (coonue par l'historien Dion Cassius), 222, peut-être en 303, puis en 379, 472 (dont on rapporte que les cendres furent déportées jusqu'à Constantinople), 512, 536. Au cours des siècles suivants, il est actif en 685, 787, aux alentours de 860, 900, puis 968, 991, 999, 1006, 1037, 1049, 1073, 1139, 1150, 1270, 1347, 1500. Ensuite une éruption notable a lieu en 1631 (on signale alors plus de 3000 victimes), 6 au XVIIIe siècle (1660, 1682, 1694, 1698, 1707,1737, 1760, 1767, 1779, 1794), 8 au XIX e (1822, 1834, 1839, 1850, 1855, 1861, 1868, 1872), une forte éruption en 1906, puis 1929 et 1944.
En 392, on fait
encore des parallélisme entre le Vésuve et l’Etna. Procope, qui est allé à
Naples, signale un grondement, une
grande quantité de cendre et
même un « torrent de feu » (De
bell. Goth., VI, 35, 1).
Jusqu'au XVIIIe siècle, la localisation exacte des cités englouties par l'éruption demeura inconnue.
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