Aménager l'espace naturel

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Sommaire de la page par hyperlien :

1. La taille dans le rocher : des voies en corniche

2. Le passage des gorges

3. Les tunnels

 

 Si l’on ne pouvait éviter les gorges (sans passer au fond) ou les barres rocheuses, on recourait à des grands travaux d’aménagement dont il subsiste encore des vestiges impressionnants.

Les grands travaux menés par les Romains en montagne pour faire passer des routes sont le plus souvent liés à un obstacle rencontré sur un tracé qui ne peut l’éviter, en général une paroi rocheuse abrupte qu’il faut tailler pour créer un surplomb. Largement avant la période impériale, les Romains se sont distingués par la taille à même le rocher sur parfois plusieurs dizaines de mètres pour faire passer une voie importante qui ne pouvait contourner l’obstacle.

Les exemples de taille dans le rocher dans des sites difficiles pour garantir une pente correcte sont extrêmement nombreux.

1. La taille des voies dans le rocher 

Sur des terrains rocheux ou sur des dalles, il est fréquent que les Romains aient creusé des ornières assez profondes, pour freiner les attelages à la descente :

Voie romaine du Bözberg, Suisse : de profondes ornières

 

Si la pente était trop raide pour des chariots tirés par des bœufs, les ingénieurs romains calculaient l’angle maximal toléré par les bêtes de somme, tiraient une ligne entre le point de départ et le point d’arrivée souhaité sur la crête et faisaient les travaux nécessaires.

  • On en voit un exemple en Suisse,  près de Balsthal, où les Romains ont taillé le rocher au burin en creusant jusqu'à 3 m de profondeur pour respecter une pente acceptable (10%, jusqu’à 15 %). Parfois, des marches sont même taillées dans le rocher entre les ornières des chars pour faciliter la montée des hommes et des bêtes, et des trous faits sur les côtés pour freiner les attelages à la descente.
  • Dans les Alpes, on a notamment la « Porte de Donnaz », aux dimensions impressionnantes et aux vestiges bien conservés, sur la route du col du Petit-Saint-Bernard, dans le Val d’Aoste : la montagne est taillée sur 220 m de long, 13 m de haut et 5m de large. Les traces des roues de char sont nettes, et les Romains avaient ajouté un parapet et des terrassements :

"Porte de Donnaz" (Val d’Aoste) : voie romaine taillée dans le rocher et tunnel

  • La montée vers le col du Grand-Saint-Bernard, réputée pour sa difficulté, conjugue par exemple plusieurs types de travaux : pour accéder au col lui-même, sur le versant ouest, la route ancienne était beaucoup plus directe que la route moderne. Les Romains ont dû passer une arête rocheuse : ils ont bâti une rampe de 15 m de long environ, avec des blocs de pierre qui pavaient les bords, alors que le milieu de la chaussée restait rugueux, pour éviter que les voyageurs et les chargements ne dérapent.

L’idéal est qu’une voie soit assez large pour que deux chars se croisent, mais ce n’est pas si fréquent en haute montagne ou dans des sites rocheux. C’est pour cela que Pausanias prend la peine de saluer le fait qu’Hadrien ait fait élargir la route côtière dans les Monts Géraniens (ou Roches Skironiennes, selon les auteurs), entre Mégare et Corinthe : (44, 6) : Mais l’empereur Hadrien la fit établir assez large et assez convenable pour que des chars s’y croisent.  Cette route franchit ces montagnes qui tombent directement dans la mer en falaises. Elle est donc en corniche sur « 6070 pas », comme l’écrivait Pline, ce qui correspond à environ 7 km. Pausanias évoque en effet son aspect étroit. Strabon explique qu’elle « côtoie l’abîme » : (IX , 1, 4) : Du fait que la montagne qui la surplombe est à la fois élevée et infranchissable, cette route doit se rapprocher tellement des Roches Skironiennes qu’en bien des endroits elle est suspendue au bord du précipice .

L’avoir élargie, c’est avoir « forcé la nature » hostile typique de la montagne, ce qu’a salué de façon générale Strabon à propos de la construction des routes par Auguste dans les Alpes : (V, 6, 6) : Forcer la nature en traversant des rochers et des escarpements d’une hauteur démesurée.

  • L'exemple de Terracine, en Italie, est à cet égard très probant : sous le règne de Trajan, au début du IIe siècle, les Romains ont entaillé une grande falaise maritime (aujourd'hui appelée Pesco Montano) sur 128 pieds romains de hauteur, pour permettre à la Via Appia de passer en bord de mer au lieu de devoir monter pour contourner la montagne :

Vues de Terracine avec sa falaise entaillée sous Trajan

Les Romains ont indiqué la hauteur des travaux par paliers dans des sortes de cartouches avec des chiffres :

 

Marqueurs romains de la hauteur dans la falaise entaillée de Terracine (Italie)

Ouvrir une route ou l'entretenir dans un paysage au relief  hostile n'est pas l'apanage des seuls empereurs :  on a retrouvé une inscription romaine à 15 km environ de Sisteron (France), datant du Ve siècle, sur la route de St Geniez, commémorant  des travaux entrepris par un notable romain pour ouvrir une route secondaire à travers une cluse vers un lieu (énigmatique) dit Theopolis :

détail du site

détail de l'inscription de Pierre écrite, à Chardavon, près de Sisteron (France)

fac-similé de l'inscription

Claudius Postumus Dardanus, vir inlustris et patricia dignitatis, ex consulari provinciae Viennensis ex magistro scrinii libellorum, ex questore, ex praefecto pretorio (sic) Galliarum, et Nevia Galla, clarissima et inlustris femina, mater familia eius, loco cui nomen Theopoli est viarum usum, caesis utriumque montium lateribus praestiterunt, muros et portas dederunt, quod in agro proprio consttutum tuetioni omnium voluerunt esse commune, adnitente etian (sic) viro inlustri comite ac fratre memorati vri Claudio Lepido, ex consulari Germaniae Primae, ex magistro memoria, ex comite rerum privaterum, ut erga omnium salutem eorum studium et devotionis publicae titulus possit ostendi.

 

"Claudius Postumus Dardanus, homme illustre de dignité patricienne, ancien consulaire de la Viennoise, ancien maître des archives impériales, ancien questeur, ancien préfet du prétoire des Gaules, et Nevia Galla, femme très célèbre et illustre, son épouse, ont offert au lieu-dit Théopolis, après avoir entaillé les deux côtés de la montagne, l'usage de routes et lui ont donné des murs et des portes. Ce qu'ils ont réalisé sur leurs propres terres, ils l'ont voulu commun pour la protection de tous, avec encore l'appui du compagnon et frère de l'homme que nous commémorons, Claudius Lépidus, ancien consulaire de Germanie Première, ancien maître des archives impériales, ancien intendant des revenus impériaux, afin que leur zèle pour le salut de tous, le signe de leur dévouement à l'intérêt public puisse être montré "

2. Le passage des gorges

Dans les gorges, la voie ne passe jamais exactement au niveau du torrent, pour mettre les voyageurs à l’abri des congères en hiver.

  • Après Bourg-St-Pierre, la voie romaine du Grand-Saint-Bernard passe par exemple dans une gorge : la chaussée est située 2 à 3 m au-dessus du torrent. Dans les gorges, on peut aussi observer la maîtrise technique des ingénieurs romains, avec des ouvrages d’art taillés en surplomb, avec des remblais et des tunnels et des ponts, quand la voie passe d’un côté à l’autre si le passage n’est plus possible.
  • Un exemple se situe sur la voie du col du Petit-Saint-Bernard, dans des gorges creusées par l’Isère, dans le site du détroit de Siaix. Les rochers dominent le torrent de 120 m de haut sur la rive droite et de 80 m sur la rive gauche, la gorge est étroite (20 m) : la voie romaine était accrochée en bas du rocher de droite et ne faisait que 3 m de large.  Il en subsiste un mur de soutènement  qui a 16 m de long et 3, 60 m de haut, en moellons très bien taillés, posés en assises régulières. Derrière, un blocage de moellons irréguliers noyés dans du mortier forme la chaussée et on a posé des dalles bien ajustées :

 

Mur de soutènement romain pour le passage d’une voie dans la gorge  du Siaix                                          

On voit bien le mur de soutènement en blocs taillés sur la photo.

  • Un autre exemple significatif est situé dans le défilé d’Aigue-Blanche, où l’Isère coule entre deux roches à pic, et où les Romains ont taillé le roc au pic sur 23 m de long, à 16 m au-dessus de la rivière, sur une largeur de 5, 30 m. Ils avaient aussi pensé à l’écoulement des eaux pluviales et aux risques de ruissellement : une rigole de 0, 20 m de large et de 0, 05 m de profondeur avait été creusée. A l’extrémité nord, la voie était soutenue par un grand mur bâti avec des pierres de taille.

3. Tunnels

Les Romains ont creusé des tunnels dans les montagnes quand la route ne pouvait pas éviter de passer par des rochers et qu’on ne pouvait pas les tailler en corniche.

  • C’est le cas de la Via Flaminia , en Italie, qui est taillée dans la roche sur 50 m  de long,  10 à 22 m de haut et 6 m de large dans les Apennins, avec d’importantes substructions pour résister aux crues du torrent Candigliano, et qui passe par le tunnel du Furlo, creusé à partir de 223-220 av. J.-C. , mais amélioré sous Vespasien. Il est élargi et les travaux sont achevés en 76. La mutatio  voisine du tunnel portait un nom significatif : Intercisa (Saxa), ce qui signifie « Roche Taillée". L'auteur tardif Aurélius Victor salue les immenses travaux réalisés : (X,  8) : On ouvrit des routes grâce à d’immenses travaux, et sur le parcours de la Via Flaminia, on creusa la montagne pour en faciliter la traversée Il fait 38 m de long, est large de 5, 50 m et haut de 6 m .

Tunnel du Furlo, Italie

  • Entre Bienne et Bâle, en Suisse, la route qui passe par Tavannes et Sonceboz rencontre une paroi rocheuse qui barre le défilé dans lequel elle est engagée. Les Romains ont percé un tunnel de 3 m  de long environ, de 8 m  de haut, et de 12 m  de large, connu sous le nom de Pierre Pertuis (petra pertusa : « roche percée »).

Tunnel romain de Pierre Pertuis (Suisse)

Sur la photo, on discerne l’emplacement de l’inscription, en creux au centre de la voûte. Le travail a été visiblement difficile : les Romains ont dû déblayer une grande quantité de terre au pied du rocher pour obtenir la pente voulue pour la route. La largeur du passage indique qu’ils voulaient que deux chars puissent s’y croiser. On sait, par une inscription au-dessus du tunnel du côté nord, que ce travail date environ de 200 ap. J.-C. (sous les règnes de Septime Sévère et de Caracalla) :

CIL XIII, 5166 : Numini(bus) August[o]rum / via [d]ucta per M(arcum)/ Dunium Paternum / Iivir[u]m col(oniae) Helvet(iorum).

« Route construite en l’honneur des empereurs par Marcus Dunius Paternus, duumvir de la colonie des Helvètes. »

Les travaux furent financés par un magistrat municipal d’Aventicum, sans doute un riche marchand voulant intensifier le commerce avec la Gaule, puisque cette voie permettait de raccourcir sensiblement le parcours entre Bienne et Bâle, qui autrement passait 40 km plus à l’est, par Balsthal.

  • Près de Naples, la Crypta Neapolitana est un imposant tunnel sous la montagne, creusé par les Romains. Il a l’intérêt d’être décrit par Strabon et d’avoir gardé d’importants vestiges, puisqu’il a été remanié et utilisé jusqu’au début du XXe siècle. Strabon salue le travail des ingénieurs romains qui ont creusé un tunnel sous cette montagne, entre Pouzzoles et Néapolis, en Campanie : (V, 4, 7) : On y voit aussi une galerie souterraine pratiquée dans la montagne entre Dicéarchia et Néapolis, et exécutée comme celle de Cumes, c’est à dire qu’elle ménage sur une longueur de plusieurs stades une voie carrossable sur laquelle peuvent se croiser deux attelages. Ce travail a été si considérable que ce tunnel est le seul à figurer sur la Table de Peutinger avec un dessin unique, qui certes, ne montre pas la montagne sous laquelle le tunnel passe, mais dont la présence à elle seule salue l’aménagement romain :

Table de Peutinger, segment V, 4 :  la Crypta Neaapolitana          

Le tunnel fait 700 m de long et devait être à peu près de 4, 50 m de large en moyenne.

   

Crypta Neapolitana, (Naples) : l'exemple d'un grand tunnel sous une montagne

 

 Les Romains avaient même aménagé des ouvertures pour laisser passer la lumière, comme en témoigne Sénèque, certes de façon critique, puisqu'il écrit à ce propos qu’en dépit des ouvertures, les ténèbres règnent, ainsi qu’une forte poussière et il utilise l’expression illo carcere pour désigner le tunnel qu’il a emprunté (Ep., LXVII, 1, 1-2).

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