Le volcanisme antique

 

 

 

Sommaire de la page :

 

1. Les volcans connus par les Anciens

2. L'absence d'une appellation propre pour désigner le volcanisme

3. Les critères de reconnaissance antique du phénomène volcanique

4. Les volcans éteints et insidieux

5.  Conclusion

 

Dans les sources littéraires antiques, les phénomènes volcaniques semblent être systématiquement des mirabilia ou des miracula, que ce soit chez des poètes, des géographes, ou des historiens. Le texte le plus long sur les volcans est le poème scientifique l'Etna dont l'identité de auteur est peu sûre.

Aucune description de volcan n’est faite sans émotion dans l’Antiquité, parce que les volcans sont des symboles de la force brutale et du déchaînement de la Nature, dignes d’admiration et d’étude. Les métaphores corporelles sont multiples et chargées d’émotion et les volcans sont l’objet de personnifications fondées sur un caractère présenté comme violent, insidieux et agressif. Que ce soit dans un but scientifique ou littéraire, les différentes sources ont donc bien noté la spécificité de ces montagnes et ont parfois cherché à les expliquer. Décrire le paysage volcanique en le reconnaissant comme tel sert-il aux Romains à maîtriser cette violence, à s’intégrer dans ce paysage qui est une exacerbation de la sauvagerie de la Nature ?

1. Les volcans connus par les Anciens

 Les deux volcans les plus connus et les plus décrits sont le Vésuve et l’Etna, ce qui est explicable par leur proximité avec Rome, leur relative facilité d’accès, et surtout l’activité régulière de l’Etna et le choc historique de la terrible éruption du Vésuve en 79. Mais les Anciens connaissent aussi l’activité des volcans des îles éoliennes (Lipari), les volcans de Lycie, le Mont Argée de Cappadoce (Erciyes Daghi), représenté sur des monnaies, et les phénomènes des Champs Phlégréens, aujourd’hui la Solfatara. Ils citent un énigmatique volcan en Afrique, impossible à situer, "Siège des dieux".

Les volcans les plus actifs et les plus proches de Rome sont en effet sujets à des explications mythologiques. C'est le cas de l'Etna, des îles éoliennes.

 

 2. L’absence d’une appellation propre pour désigner le volcanisme

Le mot « volcan » n’existe ni en latin, ni en grec. Il n’existera pas avant longtemps : il ne va être « créé »  en espagnol qu’en 1524, dans des écrits sur les Indes occidentales. Les auteurs antiques utilisent donc le nom propre du volcan avec les substantifs usuels pour dire « montagne » : mons en latin et oros en grec. Plus rarement, on trouve les synonymes habituels pour les montagnes, en particulier quand il s’agit de parler de la fertilité des sols volcaniques et de l’aspect agricole des versants : pour le Vésuve, on a par exemple Vesaeuum iugum, Vesuuii colles, léofou Béesbion. Mais Vesuuius mons est par exemple beaucoup plus fréquent.

Quand le compilateur géographe Solin, puis le tardif Isidore de Séville veulent exprimer la nature volcanique du Mont Chimère, en Lycie, ils utilisent une comparaison périphrastique avec les deux volcans les plus célèbres dans l’Antiquité : Ce qu’est dans la Campanie le Vésuve, en Sicile l’Etna, le Mont Chimère l’est en Lycie

La définition de la nature volcanique passe donc par la comparaison avec les deux cas les plus célèbres –et les plus proches- des Romains, et non par un vocabulaire spécifique.

Les volcans sont des "montagnes violentes et étonnantes"

 

3. Les critères de reconnaissance antique du phénomène volcanique

   Des feux « perpétuels », souterrains ou externes

Pour évoquer la nature volcanique de ces montagnes particulières, la plupart des auteurs se contentent en général d’une expression toute faite qui montre que c’est un volcan actif, à cause du feu qui s’y trouve, qu’il soit dissimulé en son sein ou visible.

Ainsi, le Vésuve et l’Etna, modèles du genre, sont associés à toutes les terres « qui brûlent », où qu’elles soient, dans la mesure où le critère de reconnaissance volcanique est le fait d’avoir des feux sans qu’il y ait nécessairement éruption au sens étymologique, c'est-à-dire sortie violente de matériaux : les feux du mont Etna et du mont Vésuve, ainsi que les terres ardentes où que ce soit, brûlent sans être en éruption (Pline, Solin).

Les métaphores corporelles, très significatives, ne font pas défaut : on évoque les intestinis ignibus, les intestins en feu du Vésuve et s’il y a éruption, le volcan vomit ses entrailles brûlantes Les termes généraux pour décrire une éruption sont tous les mots qui signifient « incendie » : incendia, incendus, ignis, pµur : la montagne prend feu, elle s’embrase et elle « vomit du feu » Dans les descriptions, les flammes sont omniprésentes. En réalité, les termes flamma ou fléoj sont incorrects dans le contexte volcanique, car ce ne sont en aucun cas des flammes qui s’échappent du cratère, mais la plupart du temps de la lave ou des projectiles incandescents, ce qui montre qu’à l’évidence, rares sont ceux qui étaient vraiment allés approcher un volcan actif, où l’on ne voit pas de « flammes ».

Les Anciens avancent souvent l’idée –qui prend à tort force de loi naturelle- selon laquelle ces types de montagnes brûlent de feux continuels (ou perpétuels), quelle que soit la fréquence et la variabilité réelles de leurs éruptions et leur mode d’activité.

Pline l’Ancien déclare ainsi que l’Etna brûle sans cesse la nuit. Pomponius Méla cite l’Etna comme un modèle de feu continuel, puis le Theon Ochema, Hiéra et Strongylè exactement de la même façon que l’Etna . Strabon est le seul à différencier des types d’activité éruptive de l’Etna : Le sommet lui-même est évidemment soumis à de fréquents changements dus à l’activité inégale du feu, qui (…) tantôt expulse des torrents de lave, tantôt fait monter des flammes mêlées d’une fumée noirâtre, tantôt encore projette des blocs incandescents. La fumée en permanence, voire des grondements, sont aussi les critères de reconnaissance d’un feu intérieur menaçant, comme le note Suétone quand il raconte que Caligula en est effrayé lors de son voyage en Sicile en 40 ap. J.-C : Il s’enfuit, épouvanté par la fumée et les grondements qui s’échappaient du cratère de l’Etna.

Les éruptions de l’Etna ont été fréquentes entre le IIe siècle av. J.-C. et notre ère : Une éruption est connue en 425 av. J.-C. : Thucydide (III, 116) ; Pindare (Pythi, I, 20) ; Esch., Prom., 351 ; Hés., Th., 860 ; en 396 av. J.-C., une éruption est parvenue jusqu’à la mer (Orose, II, 18) ; en 141, en 135, 126, 122, 50, 44, 38, 32 av. J.-C.

Puis il y a eu une période de calme relatif jusqu’en 40 ap. J.-C., où l’activité a repris fortement. Mais les auteurs antiques ne soulignent guère ces variations historiques ; l’Etna est toujours schématiquement présenté comme le modèle de la montagne en feu perpétuel.  Justin, auteur tardif, écrit : Le feu du mont Etna est allumé depuis tant de siècles ! Le signe minimal de l’activité volcanique est la présence de fumerolles qui sortent de fissures ou de cratères mineurs ou d’un grand panache de fumée au sommet de la montagne, visible depuis très loin. Les Anciens parlent d’un « nuage » (nubes, néefow) caractérisé par sa couleur noire ou d’une brume de fumée telle qu’elle crée l’obscurité, comme l’écrit Strabon : il est enveloppé de fumée et de brume obscure. Cette omniprésence d’un nuage de fumée noire a même amené Claudien à écrire que l’Etna donne l’impression de « faire naître les nuages » et de les pousser hors de son cratère, troublant ainsi la clarté du jour, puisqu’il « souille le jour » par ce nuage noir. Ce contraste entre la lumière du jour et l’omniprésence de la couleur noire (piceus, obscurus) est en effet présenté comme un élément caractéristique de la combustion intérieure et aussi comme un signe de la menace que fait planer le volcan, qui  perturbe l’ordre cosmique. On lit ainsi dans l’Etna : Même quand le ciel est d’azur, l’air sec et brillant, et que le soleil montre à son lever des rayons d’or autour d’un disque empourpré, il y a toujours de ce côté-là un nuage sombre, masse inerte étendant en tous sens sa face chargée d’humidité. Strabon a rapporté un témoignage et se risque à fournir un chiffre de 60 m environ pour la hauteur du panache : au-dessus du cône, un nuage vertical immobile –il n’y avait pas de vent ce jour-là- qui montait tout droit jusqu’à une hauteur d’environ 200 pieds et ressemblait à une fumée .

Vitruve écrit que le feu interne laisse échapper une « vapeur  brûlante,  issue des profondeurs ». D’ailleurs, il insiste sur le fait que la vapeur soit  «  brûlante » avec un autre adjectif : uapor ardens. Cette vapeur qui sort par des cratères ou des fissures est souvent le signe de l’activité souterraine sans même qu’il y ait éruption à proprement parler, parce qu’il n’y a aucune violence du phénomène.

Rares sont donc les auteurs qui, à l’exemple de Dion Cassius, font remarquer que l’activité volcanique d’un volcan peut être intermittente : <Le feu>  ne reste pas toujours ainsi, tantôt il augmente, tantôt il diminue. Il a su remarquer une différence visuelle entre les éruptions diurnes et nocturnes mais il croit à tort qu’il y a alternance quotidienne des phénomènes : Le cratère est le domaine du feu, et il fait jaillir de la fumée pendant le jour et de la flamme pendant la nuit. Rares sont les auteurs antiques qui, comme Strabon, ont su pressentir que les éruptions elles-mêmes ne changent pas, mais que de jour, la fumée est si dense qu’elle cache les projections incandescentes : On voit de nuit s’échapper de son sommet des flammes éclatantes, mais de jour il est enveloppé de fumée et de brumes.

4. Les volcans éteints et leur caractère insidieux

 Bien entendu, il reste quelques cas de volcanisme reconnu comme tel  (à juste titre) par les auteurs antiques mais mis à part à cause de l’absence apparente de la caractéristique principale : le feu…visible.  Dans l’Etna, l’auteur consacre un paragraphe aux régions volcaniques où le feu semble éteint depuis longtemps ; il cite l’île d’Ischia, ancienne Aenaria, située dans le golfe de Naples, où  tout est éteint à la surface, et les Champs Phlégréens, d’où le feu a disparu depuis de longues années. La connaissance du caractère volcanique de ces volcans de fait peu actifs repose alors sur des on-dit (dicitur), c'est-à-dire sur la transmission orale, et l’auteur de l’Etna souligne que l’absence durable (quondam, ex multis iam annis) de tout signe éruptif endort la méfiance des habitants de la région, ce qui permet encore une fois, dans la personnification qui est faite des volcans, d’insister sur leur caractère « insidieux » (insidiis).

C’est la même chose pour le Vésuve avant 79. Au moment où Strabon, Méla, Vitruve et Pline décrivent le Vésuve, celui-ci est en sommeil depuis longtemps et il est même considéré comme éteint par les Anciens, qui le citent comme une montagne parmi d’autres. Le texte de Pomponius Méla est un exemple probant : le Vésuve y est seulement cité nominativement, sans spécificité volcanique, au milieu d’une énumération des villes campaniennes dans laquelle Herculanum et Pompéi apparaissent, alors que les volcans qu’il connaît sont cités comme tels (Etna, îles Eoliennes). Le volcan d’Ischia, dans le golfe de Naples, est coutumier du fait, il s’est réveillé en 1883 après plus de 500 ans d’inactivité de surface (depuis 1303) et l’éruption a  fait 5000 victimes.

Quand Silius Italicus évoque l’éruption de 79, il précise que ses feux étaient entretenus depuis des siècles  et on retrouve, comme pour l’Etna, l’idée d’une violence insidieuse : ui caeca. Vitruve confirme qu’on  lui a rapporté le souvenir d’une éruption du Vésuve fort lointaine.

Le miracle météorologique de l’union fascinante des contraires : la neige et le feu

De plus, ce qui étonne et subjugue les auteurs antiques dans les volcans élevés, c’est l’union des contraires, c’est-à-dire le fait qu’il puisse y avoir en même temps de la neige au sommet de ces montagnes et du feu ou des cendres qui jaillissent. L’Etna, à cause de son altitude élevée, est à cet égard un grand sujet d’intérêt scientifique et d’admiration pour les merveilles de la nature. Pline associe ainsi de façon hyperbolique l’omniprésence de la neige et celle du feu, pour mieux servir l’émerveillement que traduit sa description : Cependant, parmi les merveilles du feu dans les montagnes, se place l’Etna qui brûle toutes les nuits et trouve, depuis tant de siècles, un aliment suffisant pour ses feux, alors qu’il est neigeux en période d’hiver et couvre de givre les cendres qu’il rejette. Solin reprend l’exagération de Pline en qualifiant de « merveilleuse » la conjonction de ces « forces invisibles et contraires » : Ce qui n’est pas moins <merveilleux>, c’est qu’au milieu de ces convulsions du mont embrasé, la neige apparaît mêlée au feu, et que le sommet, d’où jaillit l’incendie, garde constamment la blancheur et l’aspect des frimas. Ainsi, par l’effet de forces invincibles et contraires, le froid ne tempère pas la chaleur, la chaleur ne diminue pas l’intensité du froid.  L’Etna s’apparente dans ces textes à un miracle météorologique. Claudien lui aussi parle de la neige et des cendres : Mais bien qu’il bouillonne et déborde d’un excès de chaleur, il sait garder sa foi à la neige tout comme aux cendres. Silius Italicus évoque le miracle étonnant (mirabile dictu) de la coexistence de la glace et des flammes.

C’est la raison pour laquelle Sénèque demande à son ami Lucilius de monter à l’Etna : io s’agit de mesurer la distance entre le cratère éruptif et les neiges éternelles : (…) quand tu m’auras écrit à quelle distance du cratère s’étendent ces neiges que l’été même ne fond pas. On a ici un témoignage d’intérêt et de curiosité scientifique qui pousse un Romain à faire l’ascension d’une montagne, ce qui est rare. Cette observation sur l’Etna, modèle de montagne de feu et de neige, est partiellement fausse car s’il est vrai qu’en hiver, la neige côtoie les phénomènes éruptifs au sommet du volcan, les neiges ne sont pas éternelles, à cause de sa latitude. En plein été, l’Etna est loin d’avoir encore de la neige à son sommet, malgré ses 3279 m d’altitude. Strabon, qui, nous l’avons vu, fait la meilleure description de l’activité de l’Etna, est aussi le plus prudent car il précise que cette étonnante coexistence n’a lieu qu’en hiver : Au-dessus, les terres sont dénudées, mêlées de cendre et recouvertes de neige en hiver .

 

Conclusion

 

Mirabilia associant les contraires (le froid de l’altitude et le chaud du feu), les volcans ont été considérés comme des merveilles de la Nature, expression par excellence de sa brutalité et de ses déchaînements inattendus, qui étaient déjà le propre du climat montagnard. L’analyse de la perception littéraire et de la représentation imagéedémontre plusieurs paradoxes de la connaissance du paysage volcanique par les Anciens : lexicalement sans appellation propre, les volcans semblent présentés comme des montagnes parmi d’autres, mais leurs descriptions sont parmi les plus précises de toutes celles des montagnes et manifestent une curiosité spécifique des sources envers un paysage incomparable car changeant. Ainsi Tacite écrit-il : L'oeil découvrait du côté de la terre le plus bel horizon, avant que l'éruption du Vésuve changeât le paysage. L’intérêt porté à ces volcans, érigés en modèles de sauvagerie de la Nature, réside dans la connaissance de la possibilité d’exploiter et donc d’humaniser l’expression concrète de cette sauvagerie (le terrain qui a été créé par l'éruption), mais il démontre aussi la peur et le regret devant leur potentiel destructeur de cette humanisation : le volcan est montré personnifié, détruisant lui-même son propre paysage, dans une rage aveugle, ce qui justifie sa fréquente sacralisation.