Arpenteurs

Sommaire :

 

Les agronomes

Ce sont des sources à mi-chemin entre les sources strictement littéraires et les sources iconographiques. Les arpenteurs romains, les agrimensores, ont écrit des traités pédagogiques sur la division des terres (la centuriation), leur organisation, leur statut juridique selon leur type ; le texte des arpenteurs apporte de précieuses informations sur la structuration de l’espace et le rôle des montagnes par rapport aux sites choisis pour les nouvelles cités de l’empire, aux territoires cultivés (en posant le problème de territoires marginalisés), aux sources des fleuves dans les montagnes. Les manuscrits gromatiques des arpenteurs romains sont illustrés de vignettes (ou miniatures) au milieu du texte latin, qui sont présentées en album dans le lien . L’intérêt des miniatures en plus du texte est évident : on peut y étudier la représentation du paysage et la place des montagnes dans la centuriation, par rapport aux cités, et leur perception à travers leur dessin et leurs couleurs, qui sont très variées. La montagne est le plus souvent un ensemble de rochers ou des lignes aux formes moutonnées ; elle clôt souvent l’horizon  et elle a un rôle parfois essentiel que nous allons définir, mais elle est rarement dessinée à la même échelle que la cité, qui est le principal sujet du document.

Les textes des traités des arpenteurs romains datent du Haut Empire (entre 75 et 110 environ pour la plupart d’entre eux) et marquent une volonté politique des empereurs de la fin du Ier siècle et du début du second siècle de faire d’importantes opérations d’arpentage. Les principaux textes sont :

-Frontin (Ier s.ap. J.-C., époque flavienne), De agrorum qualitate, De controuersiis, De limitibus, De arte mensoria,

-Hygin Gromatique, De constitutio limitum , écrit vers 75 après J.-C.,

-Hygin, qui écrit au début du IIe s. (entre le début de 98 et la fin de 102, datation précisée par la titulature impériale de Trajan) trois ouvrages sur les conditions des terres, les limites et les controverses : De limitibus, De condicionibus agrorum, De controuersiis agrorum

-Balbus (Ad Celsum expositio et ratio omnium formarum) qui a sans doute vécu sous Trajan, ayant participé à une campagne en Dacie, et qui écrit donc entre 102 et 106

-Siculus Flaccus, De condicionibus agrorum, qui n’est pas facile à dater, avec des indications chronologiques dans le texte qui le situent entre la fin du principat de Domitien (96) et la création d’une province italienne par Dioclétien (290-291).

-Agennius Urbicus, De controuersiis agrorum. On pense que c’est un compilateur du règne de Domitien recopiant un anonyme de l’époque de Domitien(81-96)

Il faut ajouter un texte d’un autre type, administratif, le précieux Liber coloniarum, ou regionum, qui est une liste des territoires de l’Italie centro-méridionale, avec quelques fragments d’autres aires géographiques, comme la Dalmatie. Il rassemble en quelques lignes ce qu’il faut savoir sur chaque territoire de cité depuis sa fondation jusqu’à l’Empire, avec les assignations de terres. L’ensemble est en deux listes distinctes : le titre initial de la première est Liber Augusti Caesaris et Neronis, mais il s’agit en fait d’un état de l’Italie du  début du IVe s. (appelé Liber coloniarum I) utilisant, comme le titre l’indique, des archives remontant à Auguste et Tibère ; la seconde est plus confuse.

Les manuscrits  : Antiquité tardive et  Moyen Age

Le corpus, « quoique élaboré dans l'Antiquité tardive, n'est pas représentatif de cette période, mais bien de périodes plus hautes…il est issu, à partir de la décision de Vespasien de restaurer les archives…. de la nécessité dans laquelle se sont trouvés les spécialistes … de procéder à de nombreuses missions de terrain », concluent de Gérard Chouquer et François Favory dans leur récent ouvrage sur l’arpentage romain. Ils utilisent les expressions, significatives, de « collection gromatique, qui a dû être structurée à cette époque», « conséquence de la décision flavienne ». Si la prudence est de mise quand à la constitution de l’archétype d’où sont issus les premiers manuscrits qui subsistent aujourd’hui,  Lucio Toneatto, reprenant les analyses de Mommsen et Thulin distingue trois collections de dates et de mains différentes, laissant de côté une trentaine de manuscrits mineurs composés de fragments.

1.         un recueil originaire, qu’il qualifie d’époque « gothico-byzantine », stabilisé vers la fin du Ve siècle probablement à Ravenne, qui donne naissance à l’Arcerianus

-Rédigés en Italie, les deux manuscrits de l’Arcerianus sont appelés A et B. Le manuscrit Arcerianus B date de la fin du Ve siècle, et l’Arcerianus A, du début du VI e siècle. Ce dernier est le plus connu, à cause de ses 139 illustrations en couleur. Ils se trouvent en Allemagne, à Wolfenbüttel (Herzog-August-Bibliothek, Guerferb.36-23 Aug.2°), MS A/B. Ils semblent se compléter, mais ils se répètent aussi par fragments, ce qui pousse Lucio Toneatto à penser qu’ils étaient deux manuscrits différents, et non un seul en deux parties.

-Des copies de A et B sont faites au XVIe s. et permettent aujourd’hui de combler les feuillets endommagés : c’est le manuscrit Jenensis, qui se trouve à Iéna (Universitätbibliothek, Cod. Fol. 156) : MS J, qui combine A et B en ôtant les répétitions, et  le Latinus 3132, MS V, au Vatican (Bibliotheca Vaticana), qui réunit dans l’ordre A puis B.

2.         la seconde collection, réorganisée après décembre 533 comprend aujourd’hui :

-le Palatinus Vaticanus Latinus 1564 (303 illustrations) date de 810-830, il a été rédigé en Basse-Rhénanie et se trouve à la Bibliothèque Vaticane, MS P

- le Gudianus (avec 305 illustrations), copie d’une copie du Palatinus, qui date de 850-875, à Wolfenbüttel (Guelferb.105), originaire de Corbie, MS G. Il sert à compléter le Palatinus quand celui-ci a des feuillets manquants.

-le IIIe élément d’un manuscrit bruxellois, (Bibliothèque Royale, 10615-729), du XIIe s., Cusanus Bruxellensis (ff. 36-57) (MS p), copie très partielle du Palatinus, sans illustrations.

3.         une troisième, datant d’avant la fin du VIIIe s., qui a utilisé les deux types différents de collections, Arceriana et Palatina, appelée codices mixti par Thulin, a pour intérêt de pouvoir remonter à un texte indépendant des rédactions des manuscrits A, B et P.  Elle regroupe des éléments types des deux recensions :

            -le Laurentianus, de Florence (Biblioteca Medicea Laurenziana, 29-32), originaire de Basse-Rhénanie, datant de 800 environ, MS F

            -un fragment de manuscrit datant du Xe s. (conservé à Berlin, Staatsbibliothek der Stiftung Preussischer Kulturbesitz, lat.f.2° 641, ff.1-14), MS C

            -le IVe élément de l’Erfurtensis (conservé à la Wissenschaft Bibliothek d’Erfurt en Allemagne, Amplon. Q. 362), datant du XI-XIIe s., MS E

            -le Scriuerianus/Nansianus, du XIIe s., à la British Library (Add. 47679), MS H       

La datation des illustrations et leur valeur historique a été le sujet de maints débats, mais il est communément admis que les informations des vignettes correspondent sans doute à la réalité de l’époque de l’écriture des textes quand elles le suivent rigoureusement, ou, plus souvent, plutôt à l’époque plus tardive des manuscrits  quand elles sont plus riches que le texte brut (par exemple la vignette de Minturnes où le dessinateur a ajouté des éléments au texte : les montagnes appelées mons Vescini n’apparaissent pas dans le texte d’Hygin). On peut aussi penser que les manuscrits du IXe siècle sont des copies d'un ou plusieurs manuscrits plus anciens issus d'un archétype.

La perspective est souvent axonométrique, en couleur ou en dessin monochrome.  Frontin est notamment illustré de 33 miniatures, Hygin Gromatique de 79, Pseudo-Agennius Urbicus de 6, Balbus de 59. Au Ve s., il est significatif que le commentateur tardo-antique du texte de Frontin (Ier s.) ait jugé bon de rassembler 25 illustrations à part, en une sorte d’appendice qui a son propre nom, le Liber Diazographus, et qui figure dans la recension du type Palatina.

Les manuscrits A  (139 illustrations) et P  (303 illustrations) représentent deux évolutions différentes, les J  et V reprennent celles du A, avec quelques variations du V, et le G reprend celles du P. Les illustrations les plus grandes et les plus détaillées se trouvent sur deux doubles pages du manuscrit Palatinus, en couleur, reprises en dessin simple monochrome dans le Gudianus, sur un fond de grille qui divise le territoire. Les illustrations se trouvent sans doute ajoutées dans un but didactique, pour clarifier des aspects techniques, établissant alors un lien entre les traités et les documents de terrain des arpenteurs, tels que les plans cadastraux, les formae, et autres cartes de relevés de centuriations.

voir aussi :  pinacotheca>arpenteurs

 

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