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La
terre est connue quand une sorte de certificat en atteste
: la carte. La carte ou le dessin du paysage repousse
les limites visuelles, signale l'existence topographique, dénomme
les éléments du paysage, note les toponymes. Le
progrès de la connaissance fait exister l'inconnu. Il
fait passer de la fantasmagorie, du monstrueux supposé,
du merveilleux, au réel. On connaît alors une Terra
incognita réserve d'inconnu, réservoir
fantastique, et une Terra cognita
"terre connue", dont les barrières sont toujours repoussées
plus loin...Mais jusqu'où?
Aujourd'hui,
le globe entier est connu et cartographié. Mais dans
l'Antiquité, la terre habitée, appelée oikoumène
chez les Grecs, et orbis terrarum chez les Romains,
est conçue jusqu'au Ve siècle avant J.-C., en particulier avec
Homère, selon la représentation d'Anaximandre de Milet,
comme un disque plat entièrement entouré par
un Océan primordial et infranchissable. Cet Océan est même
divinisé et présenté dans les mythes comme dieu de la première génération,
père de 3000 nymphes océanides. Il est alors choisi fréquemment
comme sujet de représentation sur des mosaïques que l'on trouve
dans des fontaines semi-circulaires (mosaiques)
ou en pavement dans les grandes
salles de thermes comme celui-ci qui ornait le sol du frigidarium
des thermes de Themetra à Sousse, toujours en énorme
portrait central d'une composition :
musée de Sousse (III
e s.): le dieu Océan au milieu d'une faune marine
Sur
la mosaïque ci-dessus, l'Océan primordial, qui porte et entoure
les terres habitées, est typiquement représenté avec une tête hirsute
dans un subtil dégradé de bruns avec des touches de vert,
pourvue d'appendices marins qui sortent de ses cheveux : pinces
de homard ou de crabe, (on trouve aussi des antennes d'écrevisses), oreilles tubulaires,
plantes aquatique ; il a des sourcils épais
et broussailleux, le regard sévère (évoquant le côté sauvage
et imprévisable de l'élément marin), une barbe ruisselante (on discerne
très bien les filets d'eau qui coulent à la commisure de ses lèvres), qui peut dans
d'autres cas
se muer en vagues recourbées ou en rinceaux d'acanthe décoratifs.
Il est entouré par la faune marine. Un autre exemple très connu
à cause de ses couleurs est l'Océan de Sabratha, dans un magnifique
dégradé de bleus et verts :

Océanus,
Sabratha.
Si l'on évoque d'autres terres que celles qui sont connues,
elles sont mythiques et leur contour est idéalement
net. La carte est donc plutôt une spéculation géométrique à
la recherche d'un ordre idéal avec une circularité et un isomorphorphisme
parfaits. C'est d'ailleurs le sujet d'une moquerie chez Hérodote,
dans la première moitié du Ve siècle, qui préfère l'observation
directe au tracé idéal : "Je ris, quand je vois que beaucoup
ont dessiné déjà des circuits de la terre, sans qu'aucun
en ait donné un commentaire raisonnable : ils dessinent l'Océan
entourant de son cours la terre entière, qui serai toute ronde,
comme faite au compas, et ils font l'Asie égale à l'Europe"
(Histoires, IV, 36). Pourtant, jusqu'à Eratosthène (III e siècle
avant J.-C.), qui réussit à calculer les dimensions
de la terre avec une précision exceptionnelle, l'idée
du grand Océan unique entourant trois petits continents
(Europe, Afrique, Asie) est fortement enracinée et elle
demeure significativement un sujet de représentation iconographique
jusqu'à l'Antiquité tardive.
Le
monde d'Hérodote
Il
est divisé en trois continents : Asie, Europe et Libye (Afrique).
Il est limité :
-au
sud-est par la mer Erythrée (l'Océan Indien)
-au
nord-est par la mer Caspienne et le fleuve Araxe
-en
Orient par l'Inde (au-delà, une terre inconnue)
-au
nord et à l'est de l'Europe, au-delà des Scythes,peuple du nord
de l'Euxin, c'est l'inconnu : mer? montagnes limites?
-la
Libye est entourée par la mer, séparée de l'Europe par la Méditerranée
Le monde
est circulaire, avec un axe équinoxial, qui court d'ouest en est,
traversant la Méditerranée, des "Colonnes d'Hercule"
(détroit de Gibraltar) aux monts du Taurus. Les régions froides
et chaudes sont de part et d'autre de cet axe géographique capital.
On
considère que la terre est divisée en 5 grandes
zones, délimitées par deux cercles polaires et deux
tropiques. La zone torride est considérée comme inhabitable
et infranchissable.
Puis
Hipparque ose lancer au IIe siècle avant J.-C. l'idée
de l'existence de terres inconnues au-delà, souvent
appelées Antichtones, des sortes d'"antipodes"
(que l'on retrouve plus tard chez Virgile, Lucain, Ptolémée) qui
équilibrent le globe symétriquement avec l'oikoumène.
Platon peut alors faire dire à Socrate dans le Phédon
: "Je suis convaincu que la terre est fort grande
et que (...) nous n'en occupons qu'une très petite partie
(...) Et je ne doute pas que beaucoup d'autres peuples
occupent d'autres parties semblables de la surface terrestre."
Pourtant,
Strabon (Ier siècle), écrit que "le géographe n'a
pas à s'inquiéter de ce qui se trouve en dehors de notre
terre habitée".Pomponius Méla décrit par exemple
un monde habité et un monde antichtonien, mais inaccessible,
qui sont séparés par un océan équatorial.
Le grand encyclopédiste Pline l'Ancien résume la façon
dont Anciens envisagent alors le problème en opposant
la théorie scientifique et l'opinion commune, puisqu'il
est malheureusement impossible d'atteindre cet alter
orbis séparé du monde connu par la zone
torride : "Y a-t-il des antipodes? Grande controverse
des savants contre le vulgaire. Quoi ! Une terre sphérique
portant partout des hommes? Les hommes debout, pieds
contre pieds, ayant tous le ciel au-dessus d'eux et
sur quelque point que ce soit foulant tous la terre!"
Sur
les manuscrits du IXe au XVe siècle, on a des représentations
du globe d'après le texte cosmographique du compilateur
tardif Macrobe, qui permettent de distinguer les
fameuses 5 zones, fondées sur l'habitabilité climatique :

On
discerne ici :
-la
zone froide du nord, "inhabitable" : Frigida
septentrionalis inhabitabilis
-la
zone tempérée et habitée, qualifiée d'Europe : Temperata
habitabilis
-la
zone torride inconnue et inhabitable, Perusta inhabitabilis
-une
autre zone tempérée, antipode de la première,
mais" inconnue" : Temperata habitabilis
antipodum nobis incognita
-une
zone froide australe inhabitable : Frigida australis
inhabitabilis
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